Revue 02, hiver 2022 / 2023
Par Andréanne Béguin
Le Somnambule, Exposition personnelle
Avec la participation d’Eléonore Cheneau, Renaud Bézy, David Malek, Colombe Marcasiano et Guillaume Pinard
Maison des arts de Grand Quevilly, 2022
https://www.zerodeux.fr/reviews/julie-vayssiere-le-somnambule/
Grange paysanne déplacée pierre à pierre dans la ville neuve du Grand Quevilly, la Maison des Arts présente des étrangetés architecturales, ajouts successifs d’une modernité en marche. On y entre par des portes automatiques, qui ont été un point de départ de la démarche de Julie Vayssière. Régies par un mécanisme, ces portes seraient une forme de pendant à un automatisme psychique et humain qu’incarne la figure du somnambule. L’exposition de Julie Vayssière se dévoile alors comme une tentative subjective de définir, par touches successives et fragments suggestifs, les contours souples de cette figure. En réalité, l’exposition commence avant même le franchissement des portes, puisque les supports de communication traditionnels que sont les affiches et les cartons d’invitations, sortent de leur rôle d’accompagnement de l’exposition pour en devenir une entrée précise.
Julie Vayssière a construit l’exposition comme une énigme, selon un parcours où les différentes entités donnent des indices sur les suivantes. La compréhension spécifique de chaque œuvre et dispositif vient progressivement nourrir celle globale de l’exposition, à travers une agrégation de lieux et de gestes : un coin lecture domestique associé, entre autres, à un geste décoratif, ou encore une exposition dans l’exposition avec un geste curatorial.
Le déplacement – dans sa polysémie foisonnante – est au cœur du projet de l’artiste. Il s’agit d’abord d’un déplacement physique. En passant les portes coulissantes, le visiteur partage avec tous les autres, le point commun de venir d’un ailleurs. Cette mise en mouvement active vers l’espace d’exposition implique un aller et un retour. Une telle dialectique a guidé l’artiste dans la disposition des éléments et l’agencement des espaces. Les points d’attention qui émergent sur le cheminement aller se concrétisent ainsi sur le chemin retour.
L’artiste a également recours à un vocabulaire matériel et un corpus de codes propres aux situations quotidiennes de déplacement, comme des trajets en train ou en avion. Les trois écrans qui jalonnent l’espace d’exposition détournent ceux que l’on voit traditionnellement dans les gares ou les aéroports : un peu en hauteur et légèrement inclinés, ils font défiler des listes de mots – dont la logique sera découverte plus tard dans l’exposition – qui sont, à ce stade, semblables à des destinations potentielles.
Le déplacement est également métaphorique, et l’artiste joue sur notre capacité de translation et d’analogie mentale. Elle exploite le concept de « subjectivation », c’est-à-dire le recours à notre mémoire personnelle pour reconnaître et nous approprier des situations. Grâce à la quasi-absence narrative, le point de bascule prend forme dans l’espace mental du regardeur, dans sa capacité de reconstruction fondée sur son expérience passée. Une fois franchi le seuil de l’exposition, le visiteur se retrouve face au Module 1 (L’hôtel), sobrement décoré d’une lampe, d’un vase et d’un tableau emprunté à Éléonore Cheneau, ainsi que d’un écran vidéo sur lequel défilent des vues de la Normandie prises au drone. Derrière cette neutralité apparente, et par des marqueurs génériques spécifiques à ce lieu, l’artiste orchestre un déplacement cognitif et parvient à placer le visiteur face au comptoir d’accueil d’un d’hôtel, qu’il aura reconnu par association à des souvenirs et perceptions propres. Plus loin dans l’exposition – sur une ligne imaginaire suggérant un dos à dos – c’est un espace d’accueil de centre d’art qui est récréé, Module 2 (Le centre d’art), et que signalent des cartons d’invitation et une revue spécialisée.
S’opère également une lecture de l’exposition à retardement. Ainsi, les listes sur les écrans inclinés seront comprises à la lecture d’un dictionnaire disposé dans un espace agencé pour être plus domestique, signifié par une assise, une lampe et un tableau de Renaud Bézy. Un marque-page ouvre le dictionnaire à la lettre V, en dessous de laquelle le mot « vagabond », premier terme surligné, saute aux yeux. C’est à partir de celui-ci que l’artiste s’est prêtée au jeu d’une collecte linguistique cette fois. Les mots surlignés qui suivent dessinent le portrait en creux de cette figure du vagabond par ses potentiels attributs. Triés par catégorie et organisés par ordre alphabétique, ils défilent sur les écrans et nous font pénétrer dans ce personnage par ce qu’il pourrait boire ou manger, par les endroits qu’il pourrait fréquenter et les moyens de transport qu’il pourrait utiliser. Jouant aussi bien sur la richesse de la langue que sur la force évocatrice des mots, l’artiste nous lance sur la piste de ce vagabond. On le suit jusqu’à l’exposition dans l’exposition à laquelle il prête son nom et qui se déploie dans le module « centre d’art », où l’annoncent un carton d’invitation tout à fait net – par rapport à celui qui nous a conviés jusqu’ici – et une cimaise d’un blanc différent. Le voyage aller dans l’espace d’exposition atteint son point culminant devant une fresque murale : Mur, tableaux, composée de peintures que l’artiste a réalisées en copiant des tableaux prêtés par d’autres artistes. Les copies non-conformes le sont à dessein : l’imperfection du résultat traduit les diverses expérimentations que Julie Vayssière a dû déployer pour confectionner ces peintures. Elle se soumet elle-même au principe de reconstruction par l’expérience qui guide l’exposition, à cette projection spéculative des techniques et des processus spécifiques à chaque artiste complice, plus ou moins évidentes en fonction des relations établies avec elles et eux. Julie Vayssière, avec cet espace mural et ce dernier geste de peintre, donne corps au concept de « coefficient d’art » développé par Marcel Duchamp dans son ouvrage Le Processus créatif, matérialisant par la copie ce degré de variation entre une idée et son résultat.
Interview par Marie-Laure Lapeyrère, 15 septembre 2022
"Le Somnambule"
Exposition personnelle
Avec la participation d’Eléonore Cheneau, Renaud Bézy, David Malek, Colombe Marcasiano et Guillaume Pinard
Maison des arts de Grand Quevilly, 2022
M-L L : Peut-être pouvons-nous commencer par le début, soit par le titre de ton exposition. Pourrais-tu revenir sur les différentes étapes et réflexions qui t’ont conduites à choisir ce titre ?
JV : Ce titre est venu dans l’idée de traduire un déplacement automatique. Les portes de la Maison des arts ont beaucoup attiré mon attention. Il y a l’idée de rationaliser un temps d’ouverture et de circulation entre l’intérieur et le monde extérieur, mais aussi de détecter les mouvements alentours et peut-être de créer un effet d’appel d’air, d’aspiration. Le somnambulisme peut évoquer un pilotage automatique faisant du somnambule une sorte de robot humain. On peut alors considérer les machines que nous produisons comme des variations de celles qui sont d’une certaine manière contenues en nous. Et lorsque l’on pense de façon plus large à nos propres déplacements dans l’existence, nous pouvons nous demander de quelle manière ils répondent à certains schémas. Le somnambule renvoie aussi à l’inconscient et aux rêves, également moteurs de l’activité artistique. Il questionne la séparation et l’influence entre le monde des rêves et le réel, les tentatives de traduction, les allers-retours... Il s’agit aussi d’une forme de portrait d’artiste, en faux-ami. Dans nos rêves nous pouvons avoir l’impression d’agir de manière automatique, comme si à l’intérieur de nos rêves même se déplaçait déjà un somnambule. Par ailleurs, ce titre désigne une figure littéraire, cinématographique, picturale qui a elle-même influencé nos représentations. Un personnage du rêve qui vient en quelque sorte nourrir nos rêves, traversant les époques.
M-L L : Les images que tu nous as transmises pour la communication de l’exposition semblent prolonger cette relation duale, entre rêve et réalité, entre floue et netteté. Il s’agit en effet de 4 images assez simples dont 3 sont floutées. Ces images dessinées au trait représentent des objets élémentaires (vase fleuri, lampe et miroir) généralement de décoration d’intérieur. Quel rôle jouent- elles dans le récit de l’exposition ?
JV : Ces images mettent en place un vocabulaire, celui du foyer. Lui-même filtré par les dispositifs d’accueil des hôtels, car il s’agit des éléments récurrents que l’on y trouve : ce qui peut donner une impression d’entretien, d’attention et surtout de refuge. La lampe joue beaucoup à cet égard, c’est pourquoi c’est l’image principale de la communication, jouant un rôle d’enseigne. C’est un objet à proximité du somnambule se déplaçant généralement dans un univers domestique. Puisqu’il avance aveuglément, elle n’éclaire pas son trajet, elle peut par contre le rendre visible... La lampe est aussi le premier et le dernier élément mis en avant sur le parcours de l’exposition, lui donnant une dimension de boucle. Il y a aussi le flou de l’image, qui peut évoquer le filtre d’un rêve, ou d’un cauchemar, quand les contours, les lieux, les figures sont indistinctes. Ce flou renvoie aussi à un déplacement, à un objet vu en bougeant, ou en mouvement lui-même, un mouvement d’allure mécanique...
M-L L : Tu évoques le dispositif d’accueil des hôtels. Pour ton exposition à la Maison des arts, les visiteurs et visiteuses sont accueilli·es dans l’espace d’exposition par la mise en scène d’un comptoir d’accueil d’un hôtel plutôt touristique. Volontairement, tu as souhaité que cet agencement fictif, au sein de l’exposition, en constitue autant le seuil que l’ « accueil ».
Peut-on parler de fiction dans le cadre de cette pièce ? Et en quoi cette mise en scène “active” l’entrée dans l’exposition pour celles et ceux qui passent la porte du centre d’art ?
JV : Par rapport à l’emploi du terme de fiction, s’il fallait se rapprocher d’une comparaison avec une forme narrative, il s’agirait ici plutôt d’une introduction, voire d’une succession d’introductions dont les récits, liés à nos expériences et imaginaires, pourraient être activés par ces “décors”. Il me semble qu’il s’agit ici d’une expérience physique, celle de l’entrée dans l’exposition. Entrer, aller vers, aller vers quoi ? Aller visiter une exposition et se trouver au seuil d’un hôtel... Ce module cherche à fonctionner comme une machine temporelle, un objet qui active des souvenirs, des impressions... Ce qui me conduit à la conclusion, qu’en induisant un déplacement, ce module est en réalité un véhicule !
M-L L : Ton intérêt sur les codes et les normes qui régissent des environnements spécifiques et les banques d’accueil commerciales et institutionnelles mais aussi la manière dont ils se répètent d’un secteur à l’autre constituent un champ d’exploration dans ton travail depuis plusieurs années. Le projet City Café à Paris et un workshop mené à l’Ecole des Beaux-arts de Clermont- Ferrand constituent quelques exemples de projets qui ont pris comme axe de recherche cette standardisation d’environnements quotidiens et culturels.
Comment a démarré cette recherche ? Pourrais-tu revenir sur les interrogations qui sous-tendent ce projet et les gestes spécifiques qu’il implique ?
Enfin, au fil des projets cette recherche évolue et se précise. En quoi cette exposition constitue un point d’étape ?
JV : Effectivement à l’entrée de l’exposition, il y a donc ce module qui singe l’accueil d’un hôtel et un peu plus loin dans le parcours, presque vers la fin, les visiteurs rencontrent un second module qui fait référence à un accueil de centre d’art. Son positionnement dans le parcours vise à désactiver sa fonction. Je ne pourrai d’ailleurs pas dire précisément à quel moment cette recherche a démarré mais je pense qu’elle remonte assez loin. En effet, il y a eu dans mon parcours de nombreuses étapes vers cette question de standardisation des espaces, des objets, des images, des récits... je pense notamment aux photos et vidéos réalisées pendant mes études autour d’une célèbre entreprise de mobilier suédois. Le City Café a été réalisé dans les locaux d’une ancienne banque dont j’avais conservé quelques signes, et la carte de visite du City imitait celle d’un restaurant chinois. On passait donc d’une identité visuelle à une autre dans un jeu de superpositions et de glissements. Ce projet constituait ainsi un objet mobile, à la fois très marqué dans sa communication et souvent insaisissable dans sa définition.
Quant à la Maison des arts, elle m’évoque une sorte de collage fait d’éléments disparates. J’y vois une forme de parallèle avec un geste postmoderne dans l’idée de mettre en valeur des éléments du passé. On peut lire dans le bâtiment qu’au fil du temps différentes couches se sont ajoutées ou transformées, telles que les baies vitrées, les portes automatiques, des éléments en réponse aux normes de sécurité, etc. La Maison des arts m’apparaît comme un amalgame de temporalités, mais aussi de questionnements sur l’accueil des publics, ce qui a été pensé pour aller à leur rencontre, les accueillir.
M-L L : Tu évoques celles et ceux qui viennent visiter le lieu. Mais l’exposition joue aussi beaucoup autour de la notion de deux figures, voire d’une même figure possiblement dédoublée qui, d’une certaine manière, habitent l’exposition. Au fil du parcours de l’exposition, on découvre une sorte de double ou d’équivalent à la figure du Somnambule qui constitue le titre de l’exposition. Pourrais-tu évoquer la place de cette figure qui intervient dans l’exposition ?
JV : Le terme de double m’intéresse dans l’idée d’équivalent, de traduction et d’impossibilité. Et bien sûr, comme tu l’évoquais, le double peut également venir perturber l’identité. Il y a deux figures principales dans l’exposition, on pourrait les voir comme des visiteurs, mais aussi comme des figures d’artistes. D’un côté le somnambule se déplace dans le réel guidé par ses rêves et, de l’autre, le vagabond est en décalage incessant, en errance. En termes d’identification de la part des artistes, il semblerait que le vagabond constitue un mélange de fantasme et de grande crainte ! Ce personnage est aussi celui qui n’est pas accueilli, celui qui n’est pas particulièrement attendu. Dans cette exposition, il fonctionne comme une figure cachée, qui s’installe progressivement.
M-L L : Ce double fictif est notamment l’occasion d’explorer sous la forme de listes une déclinaison de termes, classés selon un certain ordre. Ces listes qui m’évoquent certaines poésies minimalistes constituent une forme d‘écriture.
Quel rapport entretiens-tu avec le langage ? Quelle place celui-ci occupe-t-il dans ton travail de manière plus spécifique ?
Mais aussi à quel geste précis correspond cette collecte et ce classement de termes qui viennent s’afficher à mi-parcours de l’exposition ?
JV : Le travail d’écriture qui est mis en scène dans l’exposition est aussi une recherche de définition : Qu’est-ce qu’un vagabond ? Et à quoi correspond cette figure aujourd’hui ? Il s’agit d’une proposition réalisée à partir d’éléments disparates. Mon protocole de prélèvement s’est construit au fur et à mesure autant qu’il a progressivement construit le vagabond. Il y a, par exemple, ce qu’il voit, ce qu’il mange, boit, possède, entend et rencontre. D’ailleurs, ce travail correspond à une proposition à un moment donné, c’est une pièce qui peut être augmentée de nouveaux mots selon les versions de dictionnaires. Dans l’accumulation des termes collectés, il y a beaucoup de contradictions. Elles m’intéressent parce qu’elles participent à construire la complexité et l’identité du personnage.
M-L L : Une autre œuvre de l’exposition est aussi liée à cette figure du vagabond, il s’agit d’un dictionnaire que le public peut consulter. Quel rôle joue dans l’exposition la présence de cette œuvre ?
JV : Elle donne accès à la source et, quelque part, l’objet lui-même du dictionnaire est une sorte de traduction “physique” du projet, du concept. Mais ce texte n’est pas vraiment une définition. Ce qui nous permet d’arriver à la question : quelle est la définition du mot définition ?! Ce texte serait plutôt du côté d’une représentation, composée elle-même de représentations. Le vagabond semble être justement celui qui cherche à échapper aux définitions.
M-L L : L’exposition s’achève sur la cimaise du fond du bâtiment dont tu t’es emparée pour réaliser une grande peinture murale. La spécificité de cette peinture est qu’elle reproduit en trompe l’œil d’une certaine manière la cimaise d’une exposition sur laquelle sont accrochées des peintures. Ces peintures que tu as empruntées à différents artistes contemporains sont reproduites sur le mur, copiées par toi.
Comment s’articule dans cette exposition précisément la relation entre les catégories de l’original et de la copie, du réel et de l’illusion, de la multiplicité des auteurs ?
Pourrais-tu revenir sur l’expérience et le geste qui active cette peinture murale ?
JV : Concernant la question de l’original et de la copie, ce qui m’intéresse dans cette relation, c’est la notion de « coefficient d’art » établie par Marcel Duchamp, qui désigne l’écart entre l’intention de l’artiste et le résultat. Mur, tableaux va à la rencontre des peintures réalisées par d’autres peintres. En partant du résultat obtenu pour effectuer un voyage à rebours, il s’agissait de reconstituer des gestes, mais aussi d’inventer des procédés, des “trucs” pour créer ces sortes de doubles. Je connaissais certains tableaux, mais l’objectif de les reconstituer m’a conduite à les regarder différemment et, donc, à entrer dans une forme d’intimité avec le travail et le geste de leurs auteurs. Et, en découvrant plus précisément leurs gestes, mon propre geste finissait par apparaître, il était alors question d’un point d’équilibre entre eux et moi. Ce qui était aussi moteur, c’était l’idée de reproduire de la peinture avec de la peinture, à la fois des tableaux mais aussi la peinture du mur de fond. Et puis, ce mur constitue également une sorte d’exposition dans l’exposition. Dans certains tableaux on peut voir des évocations de l’histoire de l’art, des associations sont possibles, des images dans l’image. Il y a donc une exposition dans l’exposition avec la peinture murale et, dans les tableaux, on peut dire qu’il y a d’autres tableaux, comme toujours finalement...
M-L L : En effet, en regardant ces 5 peintures empruntées, on s’aperçoit que pour chacune affleurent des références à l’histoire de la peinture. Est-ce que cette dimension dans leur travail est ce qui a présidé à cet emprunt ? Avais-tu une idée précise de l’œuvre que tu voulais ou as-tu discuté avec chacun·e pour choisir celle que tu souhaitais leur emprunter ?
JV : La question de références possibles à l’histoire de l’art dans leurs tableaux n’a pas motivé mes choix de manière directe. En amont, j’avais une idée des peintures mais cela restait ouvert. Pour moi, c’était une part de l’expérience : comment on allait construire ce projet ensemble. Les choses se sont mises en place progressivement et différemment avec chaque artiste.
M-L L : Renaud Bézy par exemple est quelqu’un que tu connais très bien. Vous avez ce que l’on pourrait dire une discussion régulière qui vous enrichi d’une réelle capacité à vous comprendre et à saisir la particularité de vos démarches respectives. Ce sont des relations qui se construisent dans le temps ?
JV : La notion de temps est assez importante. En effet avec Renaud c’est assez amusant de voir les divers rebondissements que produisent ce type de contextes. Il y a une sorte de compréhension avec l’accumulation d’expériences, tout comme avec d’autres personnes, avec qui quelque chose semble se construire en plusieurs épisodes.
M-L L : Et j’imagine que la notion de collaboration de manière générale avec d’autres artistes est importante pour toi ? Beaucoup de tes projets antérieurs sont réalisés comme à Grand Quevilly avec la participation de compagnons de pensées où le temps, la répétition des expériences de collaboration renforcent un certain nombre de liens.
JV : Oui c’est un point important en effet et, d’un autre côté, ce type de projet est aussi l’occasion d’inaugurer de nouvelles collaborations et d’aller vers l’“inconnu”.
Notice de "Window"
Frac Normandie Caen, 2021
Par Camille Viéville
http://www.fracnormandiecaen.fr/collection/collection-en-ligne#/artwork/330000000055272?filters=query%3Avayssi%C3%A8re&page=1&layout=grid&sort=by_author¬e=13021
Julie Vayssière s’intéresse « à notre rapport aux normes et aux codes dans un environnement saturé d’images [1] ». Pour Window, elle explore l’univers de la décoration et la culture commerciale qui s’y rattache, intriguée par la mode de la verrière d’atelier. Très présente depuis quelques années dans les magasins de la grande distribution, celle-ci trouve son origine dans l’architecture du XIXe siècle, depuis les fabriques jusqu’aux ateliers d’artistes. Aujourd’hui, cette intégration massive à l’espace domestique, pour séparer deux zones et laisser passer la lumière, se fait au détriment de la qualité, certains modèles en PVC étant disponibles en kit. Mais si la verrière séduit autant, c’est précisément pour cet imaginaire tantôt industriel, « l’esprit loft » des magazines et des émissions TV de déco, tantôt bohème, qu’elle véhicule.
Parallèlement, le motif de la fenêtre tient une place particulière, riche en significations, dans l’histoire de l’art. À titre d’exemple, le tableau est associé dès la Renaissance à une fenêtre ouverte sur le monde ; à l’époque romantique, il matérialise la frontière entre l’intériorité de l’individu et l’immensité du monde extérieur. Plus encore, souligne Vayssière, il joue un rôle singulier dans l’art minimal américain des années 1950-1960, chez Ellsworth Kelly notamment [2]. Dans le cadre de son projet « City Café » (2018), l’artiste réalise une première fausse verrière, à l’échelle de celles vendues par les enseignes de bricolage. Dans une ancienne agence bancaire qu’elle investit pendant plusieurs mois, elle aménage un café en détournant le modèle standardisé et faussement convivial des grandes chaînes américaines. L’endroit devient à la fois un lieu d’exposition où elle invite d’autres artistes à intervenir, et une installation. Là, les montants de la verrière sont matérialisés au scotch. Désormais, le protocole acquis par le Frac Normandie est à peindre entièrement en trompe-l’œil. La nuance choisie, « bleu du ciel », et les lignes noires, comme des barreaux de prison, évoquent la codification du réel dans les dessins animés. Avec Window, l’artiste interroge notre rapport au storytelling, à l’illusion et à la manière avec laquelle les discours consuméristes et publicitaires ont colonisé le monde contemporain.
(1) Entretien téléphonique de l’autrice avec Julie Vayssière, 9 juillet 2021.
(2) Ibid.
Texte pour l’exposition "Broke"
The Artist’s Club Coffre-Fort, 2021
Par Grégoire Motte
Julie Vayssière vient de retrouver son premier collage d’artiste sur une étagère de la bibliothèque de ses parents à Toulouse : « LIBERTE », 1993. Ce sont des images de magazine découpées et collées sur un fond noir dans un petit sous-verre. En haut et en bas il y a deux frises qui font des vaguelettes avec dessus une foule de gens en shorts et en T-shirts de toutes les couleurs qui courent de dos - et à l’horizontale avec la tête vers la droite. En dessous il y a la photo un peu resserrée de l’inconnu aux sacs plastiques, seul face aux tanks sur la place Tian’anmen à Pékin en 1989. Les lampes-boules d’un lampadaire de la place qui émergent normalement vers le bas de la photo originale sont absentes ici. Plus bas à droite il y a un portrait de deux petites filles qu’on imagine sœurs, en Mongolie, l’une est très bronzée, l’autre très pâle, elles ont des grosses joues et elles portent dans les cheveux des grandes fleurs en tissus rouge, rose et bleu qui cachent le paysage.
En plein milieu une photo qui prend presque toute la place montre deux enfants blonds de neuf ou dix ans, en anoraks, en train de taper sur le mur de Berlin - l’un avec un marteau arrache-clou et l’autre avec un bout de métal rouillé. La scène a lieu aussi en 89, d’ailleurs si on calcule un peu, Julie Vayssière, qui est née en 1979, a le même âge que les deux garçons. Si d’un point de vue pragmatique, l’assaut des enfants ne semble pas trop inquiéter l’intégrité physique du mur, l’instantané qui fixe l’enthousiasme de leur jeu produit un parfait poster-souvenir de l’anéantissement de celui-ci !
Et puis juste en dessous, Julie a écrit LIBRE avec des lettres découpées dans la même image que les frises avec les marathoniens cette fois dans le bon sens, la tête vers le haut.
Vingt-huit ans après son premier collage, Julie Vayssière vient faire une exposition au Coffre-Fort.
"La Taverne de Platon"
Extrait sur le projet City Café
"PAINT OUT ! La peinture dans le champ élargi"
Thèse de Renaud Bézy en « Pratique et théorie de la création littéraire et artistique », Aix-Marseille Université, 2020
Site de Renaud Bézy : http://renaudbezy.net
(...) Il faut ici parler du City Café (76) car La Taverne de Platon a été produite suite à une invitation à exposer dans ce lieu (même si la toile reste autonome par rapport à ce contexte, elle a d’ailleurs déjà été présentée dans un autre cadre). Le City Café est une installation et une programmation réalisée par l’artiste Julie Vayssière dans un commerce de plain pied au 7 avenue de la Porte Brunet, dans le 19ème arrondissement de Paris. Le lieu a fonctionné de juin à décembre 2018 présentant cinq expositions de groupe (l’Or / Avido Generoso / City Life / City Life 2 / Love All, Serve All) montrant le travail d’une quarantaine d’artistes. La particularité de la proposition de Julie Vayssière dans ce que l’on appellera ici (faute de mieux) installation, tient à la fabrication d’un lieu commercial, un café (assez évolutif), qui va accueillir les différentes expositions, les “œuvres”. On peut déjà définir (provisoirement) le City Café comme un décor dont Julie Vayssière réalise l’intégralité de l’aménagement d’intérieur (logo mural peint, fausse brique, fausse verrière, tables, comptoir,
dessertes) sans oublier la communication (carte de visite, réseaux sociaux). À première vue le modèle visé est celui des grandes chaînes — Starbucks, McCafé — qui ont revisité la figure du café, proposant exclusivement des boissons (froides ou chaudes) sans alcool et des viennoiseries. Ces enseignes des grandes métropoles jouent d’une esthétique consumériste de la convivialité, mais où perce vite une standardisation froide et impersonnelle.
Pourtant, à regarder le City Café de plus près, la peinture s’écaille et le City s’apparente plutôt à une tentative un peu “branque” de coller à l’univers des grandes enseignes. Disparité et mutation de l’identité graphique (où apparaissent des idéogrammes, renvoyant à l’esthétique codifiée du restaurant chinois), usage du papier peint fausse brique sur la façade, présence toujours tenace des “signes” du précédent commerce (une banque LCL et son code couleur bleu), etc. Le City Café fait du coup davantage penser à certains petits commerces que l’on repère à Paris dans les quartiers périphériques et qui tentent d’intégrer les codes et esthétiques des grandes enseignes à moindre frais. C’est qu’il y a une dimension profondément honnête dans ce “geste” du City Café, pas dans un sens moral, mais dans le fait de se placer dans la situation telle qu’elle est, avec les moyens (financiers) que l’on a (77). Enfant de la crise, le City Café se distingue ainsi des nombreuses simulations artistiques propres aux années 1980 qui rejouaient l’esthétique publicitaire et/ou entrepreneuriale (78) avec un souci de perfection certaine, froideur et cynisme compris. À cette esthétique du “léché” le City répond avec son formica mal ajusté par une esthétique du bricolage mais aussi du brouillage. Brouillage car le City n’est pas qu’un décor, et même s’il n’est pas vraiment un café, on peut pourtant y déguster un Continental blend (composé par l’artiste Laura Séguy à partir des pourcentages de production mondiale de café selon les divers pays). Le City n’est donc pas un “ready-made” de café, un objet qui serait indexé et désactivé, à l’instar du magasin imaginé par le duo Elmgreen & Dragset pour Marfa Prada (2005) (79) : magasin Prada planté au milieu du désert dans lequel on ne peut rentrer, que l’on ne peut qu’admirer à travers sa vitrine. Pourtant le City Café ne s’apparente pas non plus au restaurant ouvert en 1968 à Düsseldorf par Spoerri où les convives venaient manger et repartaient avec un “tableau-piège” sous le bras. Le statut indéterminé du City Café a d’ailleurs été intégré par de nombreux artistes invités à y exposer (pain tranché en mousse polyuréthane de Rada Boukova, plateau repas peint tel un tableau abstrait de Colombe Marcasiano, architecture en sucre de Adrien Lamm, miches de pain moulées en plâtre et peintes à l’acrylique de Morgane Fourey, etc). Le projet joue également de façon subtile avec une pratique répandue des cafés (en général) et des cafés “brandés” (en particulier) : le soin apporté à la décoration qui fait que des “œuvres” (peintures mais plus souvent photographies) sont accrochées au mur. Dans ce constant glissement du statut des objets ou des propositions, le City Café développe avec souplesse une forme d’usage de l’art qu’on pourrait qualifier de décomplexé. Cette forme assez pragmatique d’un usage de l’art n’est pas uniquement à mettre au crédit de ce que le City Café serait un artist run space (un espace indépendant géré par une artiste), c’est surtout le constant flottement de la situation qui empêche toute identification figée. Espace non dramatisé, voir a-dramatique, le City Café est un décor dans lequel on peut boire, manger (c’est entendu), mais c’est surtout un décor a- théatral où l’on entre de plain-pied avec les objets et la situation. De ce point de vue il fonctionne à l’inverse du White Cube qui par son épure idéalise l’objet, le spectacularise (80).
Pour l’exposition City Life, j’ai choisi de produire la Taverne de Platon à une certaine taille et pour un certain type d’installation. La taille était déterminée par les volumes du lieu (hauteur sous plafond et largeur du mur le plus important). La Taverne de Platon est peinte sur toile libre, occupant tout un pan de mur, accrochée par suspension au plafond, elle descend (presque) jusqu’au sol. Positionnée un peu en avant du mur, la toile est une cloison flottante qui laisse tout de même entrevoir sur le bout du mur (qu’elle masque largement) un morceau tronqué du logo City Café. Ainsi la Taverne de Platon est un décor dans le décor, peau ou couche supplémentaire, en contrepoint de l’esthétique moderne (Ikea) du City, un décor de nature morte hollandaise... ou celui d’une pizzeria de grande banlieue. Si la paroi textile (quatre mètres par deux mètres quarante) renvoie à Semper, la Taverne de Platon ne pourrait être qualifiée d’ornement, notamment parce qu’il s’agit d’une scène (nous avons vu avec la grottesque que le système ornemental s’oppose à la notion d’espace de représentation au sens d’Alberti). Mais il y a une autre distinction entre ma toile et la notion d’ornement (qui n’est elle pas uniquement formelle), l’ornement vise à embellir, à magnifier en séduisant le regardeur. De ce point de vue La Taverne de Platon — en convoquant toute une esthétique du rustique et du mauvais goût — se situe dans des zones bien plus ambiguës, entre attirance et répulsion. Si certaines parties séduisent (le bouquet de fleur) d’autres, plus triviales, peuvent provoquer le rejet : l’amoncellement devient écœurement. La Taverne de Platon relève alors peut-être de ce que Jacques Soulillou nomme le décoratif, qu’il oppose justement à l’ornement. Il écrit : « L’ornement est fascination, le décoratif est répulsion. Eu égard à cette dimension de fascination scopique, l’ornement est d’ordre éthologique. Il vise à produire la sidération de l’autre par le relais de la captation du regard (humain ou animal), alors que le décoratif produit la sidération mais avec une moue de dégoût ou de mépris (81) ».
Mépris, dégoût. Immédiatement discrédité par la répulsion viscérale qu’il provoque (haut-le-coeur, écoeurement, nausée), le décoratif au sens de Soulillou procède du mauvais goût qui s’oppose lui-même au goût conforme : le bon goût. Ce satané goût mauvais doit être expulsé, renvoyé aux limbes, il est condamné, sinon à l’Enfer (esthétique), tout au moins à son purgatoire. Mais finalement ce mauvais goût n’a peut-être pas dit son dernier mot et il pourrait bien faire retour pour nous inquiéter.
C’est cette question du mauvais goût (et de sa persistance) que nous allons examiner dans une nouvelle Considération Paint In. (...)
* référence (développée dans le paragraphe précédent) à Matthew Collings commentant une peinture de Martin Kippenberger intitulée incorrectement Untitled (Political corect) (1994)
(76) Pour une archive complète des expositions au City Café, voir : https://citycafeparis.tumblr.com/
(77) Faire référence encore une foi à Deligny — « la réalité comme elle est, dans les circonstances comme elles sont » — peut sembler un peu décalé ici tant le personnage est toujours entouré d’une “aura” mystérieuse de poète-philosophe, là où le City Café se caractérise par un prosaïsme sans lyrisme ni mise en scène.
(78) Si l’on ne s’en tient qu’à la France, on peut citer, entre autres, Philippe Cazal, le groupe IFP (Information Fiction Publicité) ou encore Philippe Thomas et son agence de publicité Les ready-made appartiennent à tout le monde®.
(79) Ce projet est installé à non loin de Marfa, petite ville du Texas célèbre depuis que Donald Judd y a installé ateliers, fondation, musée.
(80) Cette capacité du White Cube à spectaculariser parfois le plus banal procède paradoxalement de son hyper- neutralité qui hystérise l’espace et les objets. On pourrait ici opérer un lien entre le fonctionnement du White Cube et ce que Marx décrit comme le caractère « fétiche » de la marchandise : « La forme du bois [...] est changée, si l’on en fait une table. Néanmoins, la table reste bois, une chose ordinaire et qui tombe sous les sens. Mais dès qu’elle se présente comme marchandise, c’est une tout autre, affaire. A la fois saisissable et insaisissable, il ne lui suffit pas de poser ses pieds sur le sol ; elle se dresse, pour ainsi dire, sur sa tête de bois en face des autres marchandises et se livre à des caprices plus bizarres que si elle se mettait à danser ». Karl Marx, Le Capital, Livre I (1867), ouvrage publié sous la responsabilité de Jean-Pierre Lefebvre, Paris, PUF, 2009, p. 81.
(81) Jacques Soulillou, « Préface à la seconde édition » (2015) in Le Décoratif (1990), Paris, Klincksieck, 2016, p.12. Dans cet ouvrage Soulillou oppose la notion de décor (revendiquée par le modernisme : Adolf Loos en tête) au décoratif, qui, à l’inverse de l’ornement, ne peut jamais être éradiqué et fait retour de façon parasite. Je ne reprends pas à mon compte l’ensemble de ces distinctions car j’ai employé le terme décor à plusieurs reprises (notamment concernant Angst vor der Angst) dans un sens différent.
"des espaces autres"
Extrait sur le projet Stand A6
"PAINT OUT ! La peinture dans le champ élargi"
Thèse de Renaud Bézy en « Pratique et théorie de la création littéraire et artistique », Aix-Marseille Université, 2020
Site de Renaud Bézy : http://renaudbezy.net
(...) Dans son texte, Michel Foucault nous avertissait de la grande variété des espaces hétérotopiques, de leurs mutations aussi*. Je ne m’aventurerais donc pas à en dresser ici une liste qui se voudrait exhaustive, ni même une typologie ou une cartographie. Je me propose plutôt de livrer un récit fragmentaire, parcellaire, à une échelle micro, de quelques-uns des lieux, plateformes, dispositifs artistiques, dans lesquelles j’ai opéré, et que l’on peut rapprocher de cette notion d’espaces hétérotopiques (au sens large). Le City Café, dont j’ai déjà parlé, pourrait être qualifié d’hétérotopie, de même que le projet intitulé Stand A6, initié également par Julie Vayssière (35). Ce projet s’insèrerait dans un contexte particulier : la Grande Brocante et vide-grenier du Parc des Sports de Gennevilliers qui eut lieu le dimanche 12 Mai 2018 (36). Le titre de ce projet découle du numéro du stand loué pour l’occasion. Sur le stand A6 donc, les flâneurs de la brocante pouvaient trouver de multiples objets un peu bizarres — pièces uniques, multiples, ready-mades plus ou moins aidés, détritus bricolés. Proposés à la vente (pour les sommes assez modiques typiques des vide-greniers) ces objets étaient les “pièces” de plus d’une dizaine d’artistes (37), jouant (ou pas) avec le contexte de la brocante. Si l’on pouvait voir dans le Stand A6 une exposition de groupe et/ou une forme parodique du marché de l’art, ça n’était pas sans une certaine ironie, tant le dispositif était celui, décontracté, de ces installations dominicales improvisées. Disposition des objets sur une table/plateau ou au sol, portants métalliques et suspension aux arbres, redistribution des espaces au gré des ventes et/ou de l’arrivée de nouveaux objets, le Stand A6 procédait ainsi d’un amoncellement collectif plus ou moins contrôlé. Pour ma part, j’ai (re)joué une performance de peintre public en peignant en direct des bibelots chinés dans la brocante. Au fur et à mesure de leur exécution, je mettais en vente la peinture à l’huile accompagnée de l’objet ayant servi de modèle. Cette performance était une reprise d’un projet que j’avais initié à Shanghai, Le Peintre Singe, et dont je reparlerais plus en détail dans la suite de ce chapitre. (…)
* référence (développée dans le paragraphe précédent) à Michel Foucault, Le Corps Utopique - Les Hétérotopies, op. cit., p. 36.
(35) Pour une archive sur le projet du Stand A6, voir : https://standa6.tumblr.com/
(36) Michel Foucault, parlant des hétérotopies éphémères (« chroniques ») liées à la « fête », parle des « foires, ces merveilleux emplacements vides au bord des villes, quelquefois même aux centres des villes, et qui se peuplent une ou deux fois par an de baraques, d’étalages, d’objets hétéroclites ». En ce cas, le Stand A6 serait une hétérotopie logée dans une autre hétérotopie.
(37) Liste des artistes ayant participé au Stand A6 : Renaud Bézy, Rada Boukova, Paul Boukov-Nicaud, Davide Cascio, Eléonore Cheneau, Paolo Codeluppi & Kristina Solomoukha, Antonio Contador, Pierre Delmas, Guillaume Durrieu, Colombe Marcasiano, Simon Nicaise, Cécile Paris, Simon Ripoll-Hurier, Laura Séguy, Céline Vaché-Olivieri, Julie Vayssière.
About "Salt adds flavour to many foods" (Learning English)
Marginalia #9, Terremoto 2015
http://terremoto.mx/marginalia-9-julie-vayssiere/
For Marginalia and the theme “art and education” I chose to show a series of sentences taken from an online game conceived to learn English. These sentences mainly stage situations of educational and professional exchanges, business, tourism, immigration and integration, building gradually the pictures of the Foreigner, a distant country and an international culture. The examples from everyday life and the collective references are bound to private life, general knowledge, indisputable truths, standardized social behavior and fictitious media narratives. Love, fear, desire, disappointment, sadness, surprise, anger, joy, etc. Great feelings and emotions are also depicted. It is these educational and universal representations of the world and life, situated in a background, that I wished to put forward.
"Julie Vayssière : la vie mode d’emploi"
Par Julie Portier
Le Quotidien de l’art / numéro 553 / 28 février 2014
Il y a cette collection de photographies sous un titre à l’accent perecquien : « Zoom vers l’infini ». Elles sont prises au jour le jour, dans la rue, les couloirs du métro, les vitrines de prêt-à-porter, partout où se nichent les absurdités légères et les comédies furtives. Julie Vayssière partage ses trouvailles prélevées au cours d’une observation assidue et effarée du réel. Le doigt sur la gâchette de l’appareil compact, elle reste aux aguets là où la banalité a endormi la perception. Il y a toujours quelque chose qui cloche dans la devanture, ces images et ces récits par lesquels les choses et les individus se médiatisent eux-mêmes.
Tout à l’air construit, de l’arrangement accidentel d’une vitrine de mercerie à la pose des adolescents sur le tapis roulant de la station de métro Châtelet. Mais quel est le modèle de ce jeu de références, et quel est le message de cette publicité ? Il y a sûrement une sensibilité « wildienne » chez Julie Vayssière qui nous fait voir dans les choses ordinaires une intention esthétique confondue avec un sens du merchandising, car après tout, l’un s’étant nourri de l’autre et inversement, tout en est imprégné à dose égale. C’est sous ce régime esthétique que la notation des gestes d’un couple dans un magasin Ikea (l’empire du rêve domestique en série étant le terrain d’investigation favori de l’artiste) sonne comme une partition de performance ou un scénario d’Alain Robbe-Grillet : « Elle prend un crayon/ Il ouvre un placard/ Elle soulève un coussin/ Il prend une tasse/ Elle touche les rideaux/ Il déroule un tapis (...) » (10 am-8 pm, 2010).
Les mannequins dégingandés en costumes de ville jouent dans la même comédie glaçante (Sans titre, 2013), de celles où des stigmates impromptus trahissent les envahisseurs. Ainsi, chez Julie Vayssière, la photographie révèle sur la scène du crime (celui dont parlait Baudrillard) les indices laissés malgré eux par les simulacres. Ce geste simple de cadrage et de reproduction est également à l’œuvre quand l’artiste monte en boucle ou à l’envers des spots publicitaires, tout comme dans ses performances où les acteurs rejouent une comédie musicale télévisuelle (What’s the name of that song, 2012), redisent des témoignages ou des textes de petites annonces de colocation (Louer mérite, 2007). Le geste appropriationniste rejoint celui des Américains de la Picture Generation des années 1980, dont l’entreprise de déconstruction (par la répétition entre autres) visait à dénoncer les systèmes de pouvoir dans l’image médiatique. La critique de Julie Vayssière est plus suave, nous tire en douceur de la torpeur des ondes alpha dont la tentation résiste à la conscience de leur effet débilitant : ce torrent de lait (écrémé) surpris par une rafale de noisette imaginé par les publicitaires de la chocolaterie industrielle est une scène ridicule (Achetez ce que vous voulez, 2005), mais l’écœurement jubilatoire est mêlé d’une irrépressible fascination. Le bégaiement de l’image publicitaire démasque chaque fois une monstruosité curieusement attendrissante, comme dans ce ballet de jambes sans corps (Nylon, 2013), ou cette destruction très appliquée d’une cuisine Ikea (Détruire la cuisine, 2006).
Dans sa dernière performance, Histoire de l’art, l’artiste poursuit son examen de l’énoncé à la première personne, récolté et délégué comme les témoignages de l’incendie des Nouvelles Galeries de Marseille en 1938 (L’Incendie, 2009). Cette fois, l’artiste a posé à son entourage artistique une question qui engage l’air de rien une entreprise imparable de démystification : « Qu’est-ce qui t’a amené à l’art ? ». Les réponses rejouées par les acteurs dévoilent parfois les sources ordinaires d’une grande vocation, la lecture de Blueberry ou une mère qui peignait des pots de fleurs.
Biography, 2013
By Damien Airault
Julie Vayssière was born in 1979 in Toulouse. She lives and works in Paris. Her work consists in photographs, videos and texts taken from the streets, vitrines, websites, her close friends and familly. She aims to make it simple, using ready-to-use supports, in an average and undramatized way. Hence Julie Vayssière can be seen as an artist who duplicates our commonplace environment, redefining minimalism poetry.
Catalogue de l’exposition "Voyage Voyage"
Maison de l’Amérique Latine, Paris 2012
Par Albertine de Galbert
« Observer la rue, de temps en temps, peut être avec un souci un peu systématique. S’appliquer. Prendre son temps. [...] Noter ce que l’on voit. Ce qui se passe de notable. Sait-on voir ce qui est notable ? Y a-t-il quelque chose qui nous frappe ? Rien ne nous frappe. Nous ne savons pas voir. »
Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974
Observatrice minutieuse de la société de consommation, et de ses protagonistes au quotidien édulcoré, Julie Vayssière en détourne les représentations textuelles, visuelles ou sonores. Ses prélèvements sont comme les échardes invisibles d’une surface dont l’apparente homogénéité ferait oublier les aspérités qui la constituent,des micros électrochocs. Si la société dépeinte par l’artiste apparaît souvent tiède, indifférenciée, atrophiée, voire un peu ridicule, elle n’est jamais moquée ni méprisée.
Je n’ai pas l’intention de duper le spectateur, je cherche à dialoguer avec lui, à l’inviter à retrouver ce qu’il connaît et à se laisser porter, par un glissement doux, par une dérive, de l’habituel vers quelque chose de nouveau, de différent. *
Dans l’exposition, l’artiste explore la sphère domestique mais à travers le spectre de ses projections dans un ailleurs virtuel.
Ainsi Joinville (2012), diaporama d’images de la ville brésilienne du même nom collectées sur Google Earth, constitue un album de « photos souvenirs » prothétique de l’expérience de terrain. Le travail de l’artiste devient celui du recadrage et de l’appropriation. L’installation murale Alcatraz Beverly Hills (2011), qui rappelle certaines oeuvres textuelles de l’artiste anglais Hamish Fulton, ne fait pas référence au souvenir d’une expérience personnelle déambulatoire comme c’est le cas chez Fulton, mais énumère les villes américaines qui ont donné leur nom à des séries télévisées. L’évocation du lointain se superpose ainsi à la culture populaire et brouille le cheminement imaginaire du spectateur.
* Julie Vayssière citée dans un article de J. Emil Sennewald, 2010, 55e Salon de Montrouge
Catalogue de l’exposition "We are the robots"
Galerie Léo Sheer, Paris 2007
Par Samy Abraham
Chronic’art#33
Julie Vayssière se réapproprie les outils de l’un des plus grand démons de l’asservissement des intérieurs domestiques : Ikea. Rangement intérieur, rangement des consciences. L’artiste monte à l’envers un didacticiel vidéo de montage de cuisine, prenant soin d’effacer tous les signes qui peuvent révéler la supercherie, et nous montre ce couple moderne et décontracté, aussi transparent que les rares figures représentées sur les notices de papier, qui procède méticuleusement à la déconstruction de sa cuisine pour la ranger élément par élément dans ses cartons d’origine. En l’absence de mode d’emploi adéquat, le démontage de la cuisine implique de force le (dé)montage vidéo. Inverser le processus Ikea se révèle aussi illusoire que d’isoler chacun des composants d’un microprocesseur. Cuisine et ordinateur, même soumission ?
Texte de l’exposition "Les machines désireuses"
Syndicat Potentiel, Strasbourg 2006
Par Dorothée Dupuis
Julie Vayssière met en place discrètement et sinueusement un univers d’images et d’histoires où les personnages et les lieux restent figés dans un éternel regret, quand ils ne sont pas simplement muets, inconsistants. Ils deviennent alors dignes d’interêts par leur propension autonome à ne parler de rien en particulier mais à discourir sur notre société, qui change constamment de centre d’intérêt dans des désirs jamais contentés. Les laissés pour compte du désir publicitaire et commercial sont les protagonistes préférés de Juile : perdants (ou gagnants : de tout façon aucune importance) de jeux télévisés, acquéreurs probables de pavillons de banlieue, acheteurs du dimanche dans des magasins d’ameublement de périphérie, collégiens séchant les cours dans les centre commerciaux...Lieux du désir artificiel, de joie feinte : ils prennent ici des tonalités moribondes, arborent des sourires désolés. Et les textes, cruels sans y toucher, d’une neutralité menaçante, à la manière d’un Houellebecq ou d’un Douglas Coupland, sculptent, taillent, ratiboisent, les rêves et les espoirs, les vies et les déboires, de l’humanité avec un grand H. Les dispositifs sont souvent simples, pauvres. Ils refusent le spectaculaires car ils parlent de son échec, énonçant malgré tout, et c’est l’essentiel, la possibilité de vivre quand même. Ici on parlera surtout de magasins IKEA, de maisons témoins, de gens qui parlent au téléphone sans qu’on sache très bien où ils veulent en venir, et puis on lira des histoires, on dressera des portraits pour meubler tout ça, certainement dans une lecture à deux voix, un vidéo projecteur et quelques diapositives.